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Carte postale suédoise: Émotionalisation.

26 juillet 2008

Émotionalisation.

Ce n'est pas une révélation, on le rabâche depuis des années. On vit définitivement à l'époque du spectacle, du trop plein d'extérieurs artificiels et sentimentalisés. A l'époque des demandes en mariage en direct sur M6, à l'heure des pleurs incessants chez Nikos, au moment des émotions que l'on rend uniques et obligatoires.

A l'époque des photos auxquelles on fait dire ce que l'on veut.

Page web du Monde

Photo prise au téléobjectif, qui écrase les distances et masque l'intégralité de la scène. Personnes en arrière-plan à qui l'on prête une indifférence inhumaine alors que l'on n'a aucune idée de ce qu'elles ressentent à l'instant de la prise de vue. C'est le maillot de bain qui fait ça ? Sur une plage, la belle affaire.

Légende qui rappelle au lecteur ce qu'il doit penser. "Choquantes", insiste-t-elle. Une photo qui "montre", à défaut de démontrer. Une analyse qui jette l'opprobre sur un peuple entier, tire des conclusions quasi-pavloviennes sur son gouvernement, et fait d'une scène figée sur un capteur photographique un symbole qui résumerait à lui seul tout un pays, un symbole de "l'indifférence des Italiens".

Ce qui est presque fascinant dans la déferlante qui a suivi la publication de ces clichés, c'est que l'on souhaite davantage susciter l'émotion chez le lecteur-spectateur du fait de la non-réaction des gens que du fait de la mort des deux gamines.
Ce que je trouve tragique, c'est juste que deux gamines soient mortes. Le reste, ce n'est même pas de la littérature.

Photos recadrées
Un extrait des illustrations de l'Anti-manuel de français, de Claude Duneton (1978). Ma professeur de français, en première, avait insisté sur ces deux images légendées. "En littérature comme ailleurs, méfiez-vous des morceaux choisis", qu'elle répétait.

Et d'ailleurs, combien de corps inertes dans les longs couloirs du métro parisien, tout près des bureaux du Monde ? Combien de personnes dont je suis, qui passent à côté d'eux tous les jours sans même y jeter un regard ? Combien de salauds de Français dont je suis, qui ne se demandent même pas si ces êtres humains allongés sur le sol sont encore en vie ? Combien de photos pourrait-on prendre, combien de bien pensants pourrait-on choquer ?

La paille, la poutre, tout ça.