free web stats
Carte postale suédoise: Clichy-sous-Bois, l'étincelle d'un gâchis annoncé.

6 novembre 2005

Clichy-sous-Bois, l'étincelle d'un gâchis annoncé.

On me dira que je ne vis plus en France et que je n'ai donc pas mon mot à dire. On me dira que je n'ai pas forcément le parcours scolaire fait pour juger ce qui se passe actuellement dans les cités. On me dira que la meilleure façon de faire pour que les choses s'arrêtent est de ne pas en parler.

Je dirai seulement que ce qui se passe en ce moment est très grave. Et que par conséquent chacun a son mot à dire pour tenter de trouver des solutions à un problème qui couve depuis plus de trente ans et qui a toujours été minimisé, laissé en attente, et utilisé à des fins électorales.

Problème énorme. Multitude de causes liées les unes aux autres. Inextricable, comme des pelotes de laines qui auraient été passées à la machine à laver puis essorées à la vitesse maximale. Erreurs simples qui conduisent à une situation inextricable de laquelle il sera difficile de sortir sans utiliser des ciseaux.

Pas de solutions miracles de ma part, sinon il y a longtemps que j'aurais créé un parti politique. Quelques phrases chaotiques qui sortent, des pensées aussi chaotiques que la situation actuelle.
  • Quand on est expatrié, et malgré les outils d'information qui existent aujourd'hui, on se contente souvent des images données par la presse locale. Et elles font très mal, ces images. Elles vous prennent au ventre et vous secouent. Elles tranchent radicalement avec l'image que donne d'habitude la France d'elle-même à l'étranger. On aime quand le journal vous parle des derniers prix littéraires français ou de la réouverture de tel ou tel grand musée (cette idée de "ministère de la culture" qui provoque l'admiration...). Lorsque la une du journal suédois quitte les enjeux nationaux pour titrer "Frankrike brinner" ("la France brûle") ou "Upproret sprider sig" ("les soulèvements s'étendent") avec une photographie digne d'une scène d'apocalypse, on sent le mal de coeur monter. On a soudain conscience que le pays adoré a son vernis sacrément écaillé et que ces images mettront longtemps avant de sortir des mémoires. Car l'image de l'extérieur, c'est peut-être ce qu'il y a de plus révélateur pour un pays. C'est le résultat d'actions politiques, d'efficacités législatives ou de gestion de situations. Et force est de constater que depuis mon arrivée ici, cette image de la France a plus souvent été négative que positive. Alors je me dis que ces problèmes n'existent pas uniquement en France. Comme pour me rassurer, comme pour me dire "rira bien qui rira le dernier". Mais pour l'instant, je ne peux que sentir un profond dégoût quand dans l'agrégateur un article de journal sur quatre titre sur ce qui se passe actuellement en France, que ce journal soit américain, suédois, anglais ou allemand.

  • S'il y a une chose qui me choque dans ces violences, c'est qu'elles ont dépassé le seuil au-delà duquel l'esprit du quidam moyen (moi le premier) s'échauffe. De nombreuses connaissances plutôt modérées m'ont confié qu'elles commencent à se faire peur. À avoir des discours de fermeté (voire pire) alors qu'avant elles faisaient preuve de la sagesse la plus admirable. Moi-même je commence à être fatigué. Fatigué des mêmes discours bourrés de poncifs que l'on tient sur les banlieues depuis des années. Fatigué d'entendre "il faut", d'entendre "si je suis élu je", exaspéré. En espérant que les esprits sauront garder leur lucidité face à la situation. Mais dans un conflit où les deux "camps" (si tant est que l'on peut parler de camps bien définis) sont remontés l'un contre l'autre à un point que l'on ne peut pas imaginer, dans un conflit où les personnes quittent définitivement les discours lisses pour taper du poing sur la table (encore une fois, moi le premier), on peut légitiment penser que cela se finira mal.
    Car l'intégrité physique et la propriété, c'est peut-être ce que nous avons de plus précieux. Et quand on leur porte atteinte, on peut craindre que la réaction soit impitoyable et incontrôlée. Voir le fruit de son travail réduit en cendres par des incendiaires dont la notion de propriété commence là où s'arrête celle des autres. Voir toute l'énergie qu'un éducateur a déployée s'évanouir parce que le comportement grégaire aura pris le dessus. De quoi répondre durement, et pas toujours avec la méthode appropriée.

  • Certaines personnes mal informées (journalistes et politiques en tête) ont découvert que les banlieues vont mal et n'ont eu besoin que d'une étincelle pour devenir incontrôlables. Tant que les "personnes d'influences" ne raisonneront que par chiffres et tableaux sans sortir de leur bureau dans le centre de Paris, pas de solution possible. Ah et puis tiens, les cités existent également en province et même dans les petites villes, grande découverte. 30 ans que l'on sent que ça va exploser. 20 ans que cela explose. 10 ans que c'est devenu incontrôlable.

  • Associer habitation, manque de moyens financiers et délinquance, c'est un poncif d'une naïveté sans nom. J'ai vécu 20 ans en HLM, dans une espèce de "barre" de 7 étages pour environ 25 appartements. Quartier tranquille. Des gens qui ont très peu d'argent, d'autres qui en ont un peu plus. Certaines personnes qui ont des voitures qui ressemblent à des tas de ferraille, au rab de 205 qui n'ont plus d'âge. Des gens qui se disent bonjour dans l'immeuble. Un ascenseur pas entretenu. Des gens qui demandent que leurs fenêtres vieilles de 30 ans soient remplacées parce qu'elles prennent l'eau, et qui se font répondre par l'office HLM qu'il n'y a pas assez de crédits nécessaires parce que dans un "quartier sensible" (qui n'est pas le vôtre, vous êtes "privilégiés"), il y a des boîtes à lettres qui ont été incendiés et qui ont besoin d'être remplacées. Des gens qui ont du travail, d'autres qui sont au chômage. Mais dans ce quartier, pas de délinquance, ou quasiment pas. Peu d'espaces verts, pourtant. Des immeubles moches mais propres, construits dans l'urgence de la longue après-guerre, à l'époque où il y avait encore des maisons-bidonvilles dans lesquelles on marchait sur de la terre battue (le luxe pour des gens peu fortunés, ces immeubles, à l'époque).

  • Les gens qui veulent la démission de Sarkozy jouent à un jeu très dangereux (Libération me donne des boutons pour l'occasion). Car c'est à peu près le seul message politique émanant des brûleurs de voitures. Un message simpliste qui ressemble à un combat de coqs, à un jeu du chat et de la souris, à une loi de la jungle ("j'ai gagné grâce à la violence donc tu cèdes"). Démissionner, c'est un aveu de faiblesse. C'est accepter la violence. Lui donner une raison d'exister.
    Que l'on soit bien d'accord. Je déteste Sarkozy, et ce pour un tas de raisons. Mais qu'il démissionne, cela serait la pire des réponses. Car ce serait ouvrir le robinet de la violence qui pourrait légitimement croire qu'elle peut exister puisqu'elle a été entendue. On ne négocie pas avec des gens qui tuent sauvagement un homme dans la rue ou qui mettent le feu à une vieille dame handicapée. On ne négocie pas avec des gens qui, suite à leurs pulsions de destruction, mettent le feu à des usines et par conséquent mettent des dizaines de personnes au chômage technique.
    Car, et c'est bien triste, ce qui caractérise ces violences, c'est l'absence totale de message politique qui y est associé. Et quand j'entends parler de "mai 68 bis", je crois que l'on fait une grossière erreur. Les casseurs sont totalement apolitiques. Ils ne vont pas voter (quand ils sont majeurs) et ne sont pas intéressés par la politique. Alors, la bagnole brûlée, elle n'a aucune signification, surtout quand c'est celle du voisin qui est dans la même galère. Elle sert seulement à faire parler de soi, à montrer que Aulnay peut faire aussi bien que Clichy. La loi du plus fort, on y revient.
    Donc, réclamer la démission de Sarkozy, c'est surfer sur la vague de ces violences pour des fins bassement politiques. Le changement aura tôt fait de passer par les urnes. Alors, journalistes de Libé, je vous prendrai un peu plus à la légère lors de ma prochaine lecture, vous m'avez quelque peu déçu.

  • À bien y réfléchir j'ai été un peu étriqué dans le paragraphe précédent, en ce qui concerne la signification de ces voitures brûlées. Mais ce qui me choque le plus souvent, c'est la jeunesse des casseurs. Qui serait en droit de manifester ? Les parents au chômage, peut-être. Ces gens qui sont à plaindre sur de nombreux points. Alors quand je vois que ce sont des mômes de 10/16 ans qui jouent les caïds, je m'interroge. Aucune revendication, seulement une envie de mettre à mal tout ce qui représente la société dans sa globalité, ses institutions comme ses services. Mettre le feu à un bus, ce n'est pas un hasard. Attaquer un bureau de poste non plus. Caillasser des pompiers ou des policiers, c'est très grave. Envoyer des cailloux sur des gens qui sont censés protéger. Envoyer des cailloux sur des services qui s'adressent à tous, sans conditions de ressources.
    Brûler des écoles quasiment neuves, auxquelles on a donné des moyens. Brûler par la même occasion des livres, symboles de connaissance. Puis retourner chez soi, allumer MTV et écouter Skyrock. C'est peut-être cela, la conclusion à tirer de ces événements. La défaite de l'intelligence.

  • En parlant de Skyrock, il m'est d'avis que ce genre de média a une responsabilité non négligeable dans ce qui se passe, même si je ne souhaite pas déresponsabiliser les personnes qui les écoutent. Mais quand on constate que ces radios (et ces blogs, pour l'occasion) permettent bien souvent de faire passer des réflexes idéologiques dans les esprits (au hasard flic = "satan" ou état = "institution qui ne te veut que du mal"), on peut se demander s'il ne faudrait pas parfois se tourner de ce côté. Sachant que Skyrock est la première radio musicale sur l'Île de France, on en vient à se dire que Difool et ses amis ont plus d'influence sur les jeunes que n'importe quelle homme politique, et de loin.

Enfin bon, plus de 2000 voitures brûlées et des dizaines de bâtiments détruits c'est bon pour la croissance, alors il faudrait peut-être voir à ne pas se plaindre, non ?

Alors il ne s'agit pas de minimiser le désoeuvrement dans lequel se trouvent les personnes qui commentent ces actes. Éducation et emploi sont sans doute les clés du problèmes. Mais voilà. Quand on vit à l'étranger, on devient un vieux con. Mais on n'oublie pas le dicton "qui aime bien châtie bien". Je dois bien l'aimer mon pays, pour châtier autant.


Dans un tout autre registre, le mauvais temps qui règne actuellement sur Stockholm pousse aux soirées chez soi bien au sec, ce qui m'a permis de voir pour la première fois The Hours. Moment rare où, lorsque le générique de fin est apparu, je me suis dit "tu viens de voir là un grand film".