Onirismes.
Aram Khatchatourian, Valse de la Suite Mascarade, Orchestre de Philadelphie, sous la direction d'Eugene Ormandy.
Ma première rencontre avec Gustave Moreau remonte à la classe de seconde. Une peinture reproduite en noir et blanc dans un livre scolaire, à laquelle je n'aurais sans doute pas porté attention si elle n'avait pas été dans le livre qui tentait de me tenir compagnie lors du cours le plus soporifique auquel il m'a été donné d'assister, j'ai nommé le cours de grec ancien.
Évidemment, il s'agissait d'Œdipe et le Sphinx, l'une des premières œuvres de Moreau. Entre deux récitations de ὁ, τόν, τοῦ, τῷ, je regardais cette peinture onirique en songeant aux montagnes qui étaient derrière les deux personnages, cet univers fait de temples improbables et de cyprès qui représentaient bien l'idée que je me faisais des sites antiques [1], étant un terrain réceptif aux récits initiatiques et symbolistes où tout n'était que luxe, calme, et volupté.
C'était une toile aux références finalement simples, et assez peu représentative des peintures qui allaient suivre.
Le Musée Gustave Moreau est située dans la maison familiale du 9e, rue de la Rochefoucauld. Ce qui donne à l'endroit et aux peintures qu'il héberge une atmosphère sans pareille. Une grande maison de ville de trois étages, avec ses parquets grinçants, ses escaliers à la rampe brinquebalante et autres vitrines en laiton cachant un cabinet de curiosités duquel on ne serait pas surpris de voir émerger un vieux monsieur moustachu, auquel on aurait envie de dire "Dr. Livingstone, I presume?". La maison familiale dans laquelle un Moreau un peu vieux garçon aura vécu presque tout sa vie en compagnie de sa mère. Un Moreau introverti qui avait soif d'univers lointains, sans doute influencé par les récentes découvertes de Schliemann.
Une peinture aux influences italienne, biblique, profane, indienne, mythologique, antique, romantique, mystique. C'est un sacré bordel, l'œuvre de Moreau. Des peintures maniérées fascinantes aux évocations multiples, qui rendent les mythes palpables. Des peintures aux multiples détails dans lesquels on aime se perdre (on peut jouer à Où est Charlie ? avec certaines aussi, si on veut). Une peinture teintée par la mort, également. Imperceptible mais bien présente, porte ouverte vers le surréalisme. Une peinture confuse qui met parfois mal à l'aise, et qui transforme finalement la sortie du musée en une bouffée d'air frais.
J'ai vraiment envie d'un voyage en Italie, cette année.
[1] Le Thèbes de Moreau étant évidemment bien plus beau que le Thèbes actuel...