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Carte postale suédoise: Parlons.

6 septembre 2006

Parlons.

A onze jours des élections générales, la Suède va pouvoir assister à un événement relativement incongru, ce soir : un débat politique entre quatre représentants des deux alliances actuellement en bataille pour le gouvernement... en anglais.

Ce que j'ai d'abord cru être une blague en lisant le journal hier matin est pourtant bien vrai : ce soir à 21h30 sur SVT 1, Mona Sahlin et Carin Jämtin (sociaux-démocrates [se]), ainsi que Maud Olofsson (parti du centre [se]) et Ewa Björling (modérés [se]), débattront des problématiques actuelles dans la langue de Shakespeare.

On peut lire ici ou là différentes raisons pour expliquer ce débat. Volonté de toucher un électorat dont le suédois n'est pas la langue maternelle, puisqu'il sera entre autres question d'intégration des immigrés (en se rappelant que 10% de la population en Suède n'est pas suédoise), les Suédois ayant la fâcheuse tendance à croire que tous les étrangers qui ne maîtrisent pas la langue locale parlent parfaitement anglais (pour un certain nombre d'immigrés, le suédois est en fait la première langue étrangère qu'ils apprennent). Evidemment, ce débat sera également l'occasion de montrer à la Suède et au reste du monde que la Scandinavie adore l'anglais.

Moi qui suis étranger et comprends et parle toujours (malheureusement) mieux l'anglais que le suédois (bien que je sois capable de suivre un débat politique en suédois), on me dit au travail que je devrais me réjouir de cela. Et bien non (je ne me réjouis de rien, c'est triste, hein ?). Et ce pour plusieurs raisons.

Car la langue locale a toujours été pour moi un critère d'intégration et non d'exclusion. Choisir de faire un débat en anglais, c'est tout d'abord exclure cette partie de la Suède (un certain nombre de personnes âgées par exemple) qui ne parle pas cette langue (même si j'imagine que vu qu'il a été enregistré, le débat sera sous-titré en suédois). Ma vision de la nation à la française qui ressort, sans doute. Un pays qui se caractérise par des langues qui permettent à chacun de se faire comprendre de l'autre. Un sésame pour une intégration plus réussie. Là, en ne forçant pas les gens à apprendre le suédois ou à faire des efforts pour être en mesure de comprendre un débat politique, en croyant les intégrer davantage à la vie du pays, on les exclut encore un peu plus. Car voilà. Le désamour de beaucoup de Suédois pour leur langue, le fait que dans 50 ans peut-être, plus personne ne le parlera au profit de l'anglais, tout cela ne change rien. On reste étranger, différent. On ne parle pas la même langue, on n'est pas capable de comprendre les mêmes aspects culturels.

Vous me direz que je ne suis pas le bon exemple, moi qui ai fustigé Ernest-Antoine Seillière lorsqu'il avait décrété au Conseil Européen que l'anglais était la langue de l'entreprise, alors que l'usage d'une langue unique est contraire même à l'idée originelle de l'Europe (déclaration qu'avaient natureLLeMent adoré certains blogueurs). Non, je ne suis pas le bon exemple. Je ne suis seulement pas d'accord avec l'idée d'intégration qu'a la Suède. Et qu'en tant qu'étranger, j'accepte de lutter pour parvenir à me faire ma place dans la société. J'accepte de ne pas tout comprendre tout de suite.

Dans ce débat en anglais, la seule chose positive que je peux éventuellement espérer, c'est que l'anglais nivelle le niveau d'expression de chacun et empêche la langue de bois et autres pirouettes pour laisser place à un réel débat d'idées. Rien de plus.

Mise à jour : le parti libéral (Folkpartiet) fait et a fait campagne pour une mesure jugée par certains inadmissible : l'exigence d'un niveau minimal en suédois dans le processus d'obtention de la citoyenneté suédoise. Même si je ne sais pas du tout comment cela se passe en France, cette idée ne me choque pas du tout. Et si jamais un jour (le "si" a beaucoup de poids dans cette phrase, car c'est très peu probable) je suis en position d'avoir la possibilité et l'envie d'acquérir la nationalité suédoise, je la refuserai si je juge que mon niveau de suédois ne la mérite pas.
Tout cela pour dire qu'à force de naïveté, la Suède est un pays qui perd peu à peu toute son identité, déjà à l'origine peu marquée.

On me fait signe qu'en ce moment je tape souvent sur la Suède. Après avoir été accusé à une époque d'être mielleux envers le pays, c'est juste une tentative de ma part de rééquilibrer la balance.