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Carte postale suédoise: Qui aloe, vera.

21 avril 2009

Qui aloe, vera.






Kind im Einschlummern, 12ème pièce des Kinderszenen de Schumann, par Martha Argerich, du temps de sa splendeur. Les quarante premières secondes de cette interprétation ont le don incroyable de me remuer assez profondément - une vague illustration de l'aphorisme proustien "les vrais paradis sont ceux que l'on a perdus".


L'autre jour en prenant mon café, je me suis dit que le marketing qui s'est emparé ces dernières années de la musique classique avait finalement été très précurseur en succombant, lui aussi, aux sirènes du storytelling. Des interprètes qui, après avoir été façonnés comme des "marques" qui avaient largement dépassé leurs "produits" - leurs interprétations -, ont maintenant été complétés par des histoires, un habillage, un concept, une mise en scène qui en font des vecteurs transportant des messages auxquels le public est davantage susceptible d'adhérer (1), surtout en ces temps de crise du disque où l'appel à des histoires suscitant l'émotion est sans doute le chemin le plus efficace pour accéder à la raison du porte-monnaie (on me murmure cependant dans l'oreillette que la musique s'adresse sans doute davantage au cœur qu'à la raison).

En l'occurrence, à l'heure où le formatage et la pipolisation de la musique classique commence à porter ses fruits répondre aux exigences de rentabilité de LVMH, (une certaine partie de) la nouvelle génération des pianistes français me gonfle.

Pochettes d'albums

Beaux gosses, belles mèches et autre classe mannequin dont les pochettes d'albums très travaillées se caricaturent tant elles semblent à la recherche de signification. Fond de teint et personnalités étudiées qui manquent un tantinet de naturel, et semblent toutes droit sorties des cerveaux de pubards qui se sont donné pour mission de dépoussiérer les bacs du rayon classique de la Fnac.

Hélène Grimaud aime parler de sa rencontre avec les loups qui a changé sa vie (ça met en valeur son côté sauvage et intriguant, style de vie, tout ça). David Fray, entre deux recoiffages (2), adore parodier Glenn Gould, tout en vérifiant bien que la caméra capture son plus beau profil. Alexandre Tharaud aime à répéter qu'il n'a pas de piano chez lui et qu'il ne travaille pas consciencieusement (tout le monde peut devenir pianiste, génie, tout ça).

Non pas qu'ils soient dénués de talent. Fray s'empare de Bach incroyablement bien et les dernières interprétations de Satie par Tharaud n'ont pas beaucoup à envier à celles de Ciccolini.
C'est seulement toute cette attitude étudiée qui me crispe. Une attitude inspirée de recommandations pas particulièreent discrètes des spin doctors de la comm', qui fait passer leurs interprétations au second plan, comme s'il était finalement plus important d'apprécier des personnalités et leur comportement que d'apprécier des sons. Pianistes d'honnête qualité, qu'un marketing habile de leurs agents de communication sur leur personne aura donc starifiés (3). Pas folle la guêpe, en misant sur une personnalité dans sa globalité plutôt que sur une interprétation donnée, il est plus facile de fidéliser son auditoire. Et comme il est toujours plus rentable de fidéliser un client que d'en conquérir de nouveaux...
On pourra se dire que tout ça n'est pas nouveau. Horowitz se mettait en scène chez lui, sachant parfaitement jouer avec les caméras. Karajan n'était pas en reste.

Pipoliser et starifier pour populariser. Un certain nombre de très bons interprètes n'ayant ni le goût du people ni le style de vie qui va avec, ils continueront de jouer pour un public restreint et "privilégié"- celui qui a les moyens d'accéder à autre chose que ce que le marketing essaie de lui vendre. En regrettant sans doute que cela perpétue cette dialectique "populaire"/"privilégié".

Penser à revoir le sketch de Jean Yanne et de Paul Mercet sur les routiers mélomanes. Hum.


(1) Toute ressemblance avec Susan Boyle serait évidemment purement fortuite.

(2) Cette vidéo est comme qui dirait un gros dossier.

(3) Les agents d'Hélène Grimaud ont visiblement eu une approche diamétralement opposée à celle de ceux de Susan Boyle.