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Carte postale suédoise: Satie l'ironique.

22 février 2007

Satie l'ironique.

La dénonciation de l'association de certaines valeurs à la musique que l'on appelle "classique" est une de mes marottes. Tant et si bien que cela tourne parfois à l'obsession, cette obsession qui refuse que lui soit affublés des qualificatifs de rigueur, de solennité, de bourgeoisie ou de tout autre terme qui tenterait à insinuer qu'elle a été écrite par d'affreux sinistres élitistes. Car mine de rien, des petits rigolos, des noceurs et des joyeux drilles, il y en a eu des ribambelles.

J'avais déjà rapidement parlé de Francis Poulenc (oui c'est à la mode actuellement), aujourd'hui je voudrais parler de Satie. Oui, celui-là même qui a souvent dû voir son nom orthographié "Éric Satie". Sik.

Maison de Satie à Honfleur.
Détail de la maison natale d'Érik Satie à Honfleur en décembre dernier, par une belle bruine normande comme on n'en voit plus des masses, boudiou. Et un froid de canard, je ne vous dis que ça.

Le gymnopédiste le plus célèbre de son temps est donc né dans ce joli petit port qu'est Honfleur. Ce fils d'une mère écossaise et d'un courtier normand est visiblement fort peu attiré par la pêche à la crevette et l'estuaire de la Seine, puisqu'il apprend très jeune l'orgue, puis part à Paris où il se mettra au piano puis se fera renvoyer deux fois du conservatoire pour cause de manque de talent. A partir de là, on peut déjà dire que la vie de Satie est marquée par le sceau de l'ironie, puisque c'est au piano que Satie composera la majorité de ses oeuvres (sachant qu'il n'est pas forcément nécessaire d'être un bon musicien pour être un bon compositeur).

Car Satie, c'est un peu ça. L'ironie poussée à l'extrême. Une personne qui s'est tellement moquée d'elle-même, tellement enfermée dans un rôle, qu'elle a dû le tenir toute sa vie. Et en mourir.

C'est un homme de sarcasme qui, du fait d'une humilité exacerbée, n'ose pas dire ce qu'il pense, et préfère vivre dans la dèche absolue plutôt que demander de l'aide de ses très nombreux (et parfois très riches) amis ou d'accepter celle qu'on lui propose, la musique ne le faisant pas vivre. C'est un homme qui pratique la correspondance à sens unique, et pas dans le sens "habituel" de la chose, à savoir qu'il envoie énormément de lettres à ses amis, mais n'ouvre même pas leur réponses (à sa mort on retrouvera des centaines de lettres non ouvertes dans son appartement), les imaginant parfois pour pouvoir continuer la correspondance.

On trouve souvent une volonté de séduction chez Satie. Une volonté de ne pas ennuyer son public en composant des pièces très courtes. Une volonté de faire rire l'interprète de sa musique en écrivant sur la partition des annotations cocasses, de faire rire son public avec des titres d'oeuvres tout aussi cocasses (Valses distinguées du précieux dégoûté, Croquis et agaceries d’un gros bonhomme en bois, Véritables Préludes flasques pour un chien...), eux-mêmes complétés par des précisions ironiques, la plus célèbre étant sans doute celle figurant sous d’Edriophthalma, extrait des Embryons desséchés : "Citation de la célèbre mazurka de Schubert". Schubert n'a jamais composé de mazurka, et le morceau ne prend d'intérêt que lorsque l'on se rend compte qu'il s'agit d'une parodie de la Marche funèbre de Chopin, très connu pour ses mazurkas.


Erik Satie - D’Edriophthalma, 2ème pièce des Embryons desséchés.


Frédéric Chopin - Marche funèbre, extrait de la Sonate pour piano en si bémol mineur n.2 opus 35.

L'homme qui portait tout le temps le même costume gris, anglican converti au catholicisme, crée sa propre église, l’"Église métropolitaine d’art de Jésus-Conducteur". Il en est le guide spirituel et le seul fidèle.

Alors qu'il agonisait à l'hôpital, il répond à son amie et protectrice Sybil Harris qui était venue lui apporter des fleurs : "Mais c'est trop tôt, chère madame, beaucoup trop tôt".

Il faut croire que l'air de Honfleur pousse à l'absurde, puisque la charmante petite ville du Calvados était également le lieu de naissance d'Alphonse Allais. Allez savoir.

Il n'y a guère qu'en amour que Satie essayait d'être sérieux. Cela se traduisait par l'écriture de quelques pièces vocales (parfois de cabaret) dédiées aux personnes qu'il aimait, par exemple le très connu Je te veux, valse sentimentale dont voici un extrait chanté par Jessye Norman (beaucoup de coffre mais une diction abominable, faites-moi signe si vous comprenez un mot de la chanson).



Satie est mort d'une cirrhose du foie savamment cultivée. On oserait presque dire "évidemment". Un homme étouffé par sa propre ironie, un homme qui meurt dans la misère, feignant le bonheur auprès de ses amis, rongé par son ego dont la vedette a été volée par Debussy.

Il s'appelait Érik Satie, "comme tout le monde", se plaisait-il à dire.