Trollflöjten, av Ingmar Bergman.
Les années 80 et le début des années 90 ont été riches en oeuvres cinématographiques mettant en scène des pièces de musique classique. Que cela soit par le biais de films dont la trame sonore et l'intrigue n'avaient pour sujet qu'un seul et unique compositeur (Amadeus, Ludwig Van B.) ou, plus "radicalement", par le biais de films mettant en scène un opéra dans son intégralité.
Carmen est un bon exemple de ce regain d'intérêt pour l'opéra au cinéma, puisqu'il a connu deux adaptions en 1983 et 1984, ma préférence allant à cette dernière, magistrale version de Francesco Rosi, avec une distribution tout aussi magistrale, puisque regroupant sur un même plateau Julia Migenes-Johnson, Placido Domingo et Ruggero Raimondi (évidemment, la philosophie était davantage à "des chanteurs sachant jouer" que "des acteurs sachant chanter"). Une reconstitution exceptionnelle, une interprétation nette (avec une diction très correcte, ce qui est rare) et musicalement brillante, et une sensation de torpeur propre à l'atmosphère espagnole qui se dégage de tout le film.
Plus tôt, en 1979, il y avait également eu le superbe Don Giovanni de Joseph Losey, avec le même Ruggero Raimondi, ainsi que José van Dam, tourné dans ces chefs d'oeuvre de la renaissance italienne, les Villas Palladio en Vénétie (et en particulier dans la somptueuse Villa Rotonda [en] située à Vicence). Le grain a un peu vieilli, mais la scène finale du fantôme du Commandeur est à elle seule une anthologie. Une atmosphère classique qui tranche radicalement avec le Don Giovanni du délirant Peter Sellars (1990), qui avait transposé l'intrigue du classique italien au Bronx de New York (Don Giovanni se faisant un rail de coke après avoir mangé chez Mac Do, ça valait son pesant d'or).
Enfin bref je m'égare, tout cela nous amène au sujet du jour, une version cinématographique de ce qui est sans doute l'opéra le plus célèbre du monde, La flûte enchantée de Mozart. Mozart qui était, comme chacun le sait, très méticuleux, surtout lorsqu'il s'agissait de ses fauteuils (et oui, ne dit-on pas que Wolfgang a mis des housses ? Pouf pouf).
La version dont je parlerai ici est celle du suédois Ingmar Bergman, Trollflöjten (1975), que j'avais rapidement évoquée lors de la représentation de cette même oeuvre (avec un livret différent cependant) à l'opéra de Stockholm. DVD américain (le seul disponible dans nos contrées) plutôt minimaliste, mais on ne sera pas trop exigeant.
Pour beaucoup de personnes, cette version est considérée comme la plus aboutie au niveau de la mise en scène. Je dirais plutôt qu'elle est remarquable parce qu'elle est quasiment la seule version cinématographique de l'opéra de Mozart. Un peu surprenant lorsque l'on connaît la renommée de l'oeuvre.
Comme son nom l'indique, l'opéra est chanté non pas en allemand, mais en suédois. Les langues venant d'une famille commune, la transposition ne rompt finalement pas tellement l'harmonie (les tournures de phrases ne changent pas particulièrement, la différence venant majoritairement du fait que le suédois donne davantage de place aux voyelles). Seuls les dialogues sont évidemment plus "exotiques" et beaucoup moins ampoulés (car écrits dans un suédois moderne, le livret d'Alf Henrikson datant de 1968) que leurs homologues originaux. "Pas si pire", donc, mais toujours déroutant. Tout autant qu'un Carmen chanté en suédois ou une Damnation de Faust chantée en anglais.
Au niveau musical, malheureusement, ça se gâte. La musique de l'orchestre de Sveriges Radio est plutôt correcte, mais les chanteurs font relativement piètre impression (la sainte colère de la reine de la nuit est pour le moins massacrée), seul Håkan Hagegård qui incarne Papageno s'en tire indemne. Mais la musique n'est sans doute pas l'unique intérêt du film.
La mise en scène, donc. A regarder en arrière et à voir comment l'opéra était représenté à la télévision (un plan fixe sur une scène d'opéra joué "normalement"), on peut dire que Bergman a innové. Le film se déroule certes dans un théâtre [1] jouant l'opéra "classiquement" (mettant d'ailleurs en scène les spectateurs regardant l'oeuvre, spectateurs qui deviennent par ce procédé acteurs de l'opéra, ce qui donne donc lieu à une mise en abîme du meilleur effet [2]), mais la caméra s'invite dans la scène et l'opéra prend alors vie, ce qui crée donc, à ma connaissance, le premier exemple de film-opéra (en opposition à l'opéra filmé), concept qui sera par la suite copié par tous les films suivants. Les couleurs sont chaudes, l'éclairage est soigné, on sent immédiatement la passion de Bergman pour l'opéra. L'ambiance est fraîche (Papageno jouant de la flûte dans la neige...), les acteurs sont photogéniques (même s'ils ont une certaine tendance à avoir une tête de jeune premier / première, ce qui devient un peu lassant), tout le monde prend plaisir à jouer, ce qui me fait dire qu'à l'époque, ce film a dû énormément plaire aux jeunes et populariser l'opéra.
Au final, on ne pourra pas dire que Mozart aura été trahi, ni reproduit à l'identique. Il aura plutôt été filtré par les yeux de Bergman (qui a longtemps dit que s'il n'avait pu devenir réalisateur, serait devenu chef d'orchestre). Une trame qui paraîtra sans doute bien modeste par rapport à ce qui a été fait depuis en terme de moyens déployés (il faut dire que le budget de Bergman était plutôt maigre), mais qui n'en est pas moins poétique. Une oeuvre mystérieuse sans être outrancièrement compliquée (Don Giovanni est à ce niveau indétrônable) qui mériterait sans doute une nouvelle mouture (et là, évidemment, la honte absolue, non, je n'ai pas vue The Magic Flute de Kenneth Branagh sortie l'année dernière).
En attendant, vous m'excuserez, mais il paraît que sur Radio Classique (LVMH quand tu nous tiens, il faudra que j'en reparle un jour, parce que vraiment...) on diffuse le générique des Parapluies de Cherbourg.
[1] Pour la petite histoire, Bergman avait demandé à filmer l'oeuvre dans le magnifique théâtre de Drottningholm [sv], demande qui lui a évidemment été refusée devant la fragilité de l'endroit. Ainsi a-t-il été décidé de reproduire à l'identique l'intérieur du théâtre dans les locaux de l'institut cinématographique suédois (Svenska Filminstitutet).
[2] Avec notamment un plan fixe sur une petite fille rousse au sourire assez énigmatique qui serait, d'après ce que j'ai pu lire, la fille de Bergman elle-même.
Carmen est un bon exemple de ce regain d'intérêt pour l'opéra au cinéma, puisqu'il a connu deux adaptions en 1983 et 1984, ma préférence allant à cette dernière, magistrale version de Francesco Rosi, avec une distribution tout aussi magistrale, puisque regroupant sur un même plateau Julia Migenes-Johnson, Placido Domingo et Ruggero Raimondi (évidemment, la philosophie était davantage à "des chanteurs sachant jouer" que "des acteurs sachant chanter"). Une reconstitution exceptionnelle, une interprétation nette (avec une diction très correcte, ce qui est rare) et musicalement brillante, et une sensation de torpeur propre à l'atmosphère espagnole qui se dégage de tout le film.
Plus tôt, en 1979, il y avait également eu le superbe Don Giovanni de Joseph Losey, avec le même Ruggero Raimondi, ainsi que José van Dam, tourné dans ces chefs d'oeuvre de la renaissance italienne, les Villas Palladio en Vénétie (et en particulier dans la somptueuse Villa Rotonda [en] située à Vicence). Le grain a un peu vieilli, mais la scène finale du fantôme du Commandeur est à elle seule une anthologie. Une atmosphère classique qui tranche radicalement avec le Don Giovanni du délirant Peter Sellars (1990), qui avait transposé l'intrigue du classique italien au Bronx de New York (Don Giovanni se faisant un rail de coke après avoir mangé chez Mac Do, ça valait son pesant d'or).
Enfin bref je m'égare, tout cela nous amène au sujet du jour, une version cinématographique de ce qui est sans doute l'opéra le plus célèbre du monde, La flûte enchantée de Mozart. Mozart qui était, comme chacun le sait, très méticuleux, surtout lorsqu'il s'agissait de ses fauteuils (et oui, ne dit-on pas que Wolfgang a mis des housses ? Pouf pouf).
La version dont je parlerai ici est celle du suédois Ingmar Bergman, Trollflöjten (1975), que j'avais rapidement évoquée lors de la représentation de cette même oeuvre (avec un livret différent cependant) à l'opéra de Stockholm. DVD américain (le seul disponible dans nos contrées) plutôt minimaliste, mais on ne sera pas trop exigeant.
Pour beaucoup de personnes, cette version est considérée comme la plus aboutie au niveau de la mise en scène. Je dirais plutôt qu'elle est remarquable parce qu'elle est quasiment la seule version cinématographique de l'opéra de Mozart. Un peu surprenant lorsque l'on connaît la renommée de l'oeuvre.
Comme son nom l'indique, l'opéra est chanté non pas en allemand, mais en suédois. Les langues venant d'une famille commune, la transposition ne rompt finalement pas tellement l'harmonie (les tournures de phrases ne changent pas particulièrement, la différence venant majoritairement du fait que le suédois donne davantage de place aux voyelles). Seuls les dialogues sont évidemment plus "exotiques" et beaucoup moins ampoulés (car écrits dans un suédois moderne, le livret d'Alf Henrikson datant de 1968) que leurs homologues originaux. "Pas si pire", donc, mais toujours déroutant. Tout autant qu'un Carmen chanté en suédois ou une Damnation de Faust chantée en anglais.
Au niveau musical, malheureusement, ça se gâte. La musique de l'orchestre de Sveriges Radio est plutôt correcte, mais les chanteurs font relativement piètre impression (la sainte colère de la reine de la nuit est pour le moins massacrée), seul Håkan Hagegård qui incarne Papageno s'en tire indemne. Mais la musique n'est sans doute pas l'unique intérêt du film.
La mise en scène, donc. A regarder en arrière et à voir comment l'opéra était représenté à la télévision (un plan fixe sur une scène d'opéra joué "normalement"), on peut dire que Bergman a innové. Le film se déroule certes dans un théâtre [1] jouant l'opéra "classiquement" (mettant d'ailleurs en scène les spectateurs regardant l'oeuvre, spectateurs qui deviennent par ce procédé acteurs de l'opéra, ce qui donne donc lieu à une mise en abîme du meilleur effet [2]), mais la caméra s'invite dans la scène et l'opéra prend alors vie, ce qui crée donc, à ma connaissance, le premier exemple de film-opéra (en opposition à l'opéra filmé), concept qui sera par la suite copié par tous les films suivants. Les couleurs sont chaudes, l'éclairage est soigné, on sent immédiatement la passion de Bergman pour l'opéra. L'ambiance est fraîche (Papageno jouant de la flûte dans la neige...), les acteurs sont photogéniques (même s'ils ont une certaine tendance à avoir une tête de jeune premier / première, ce qui devient un peu lassant), tout le monde prend plaisir à jouer, ce qui me fait dire qu'à l'époque, ce film a dû énormément plaire aux jeunes et populariser l'opéra.
Au final, on ne pourra pas dire que Mozart aura été trahi, ni reproduit à l'identique. Il aura plutôt été filtré par les yeux de Bergman (qui a longtemps dit que s'il n'avait pu devenir réalisateur, serait devenu chef d'orchestre). Une trame qui paraîtra sans doute bien modeste par rapport à ce qui a été fait depuis en terme de moyens déployés (il faut dire que le budget de Bergman était plutôt maigre), mais qui n'en est pas moins poétique. Une oeuvre mystérieuse sans être outrancièrement compliquée (Don Giovanni est à ce niveau indétrônable) qui mériterait sans doute une nouvelle mouture (et là, évidemment, la honte absolue, non, je n'ai pas vue The Magic Flute de Kenneth Branagh sortie l'année dernière).
En attendant, vous m'excuserez, mais il paraît que sur Radio Classique (LVMH quand tu nous tiens, il faudra que j'en reparle un jour, parce que vraiment...) on diffuse le générique des Parapluies de Cherbourg.
[1] Pour la petite histoire, Bergman avait demandé à filmer l'oeuvre dans le magnifique théâtre de Drottningholm [sv], demande qui lui a évidemment été refusée devant la fragilité de l'endroit. Ainsi a-t-il été décidé de reproduire à l'identique l'intérieur du théâtre dans les locaux de l'institut cinématographique suédois (Svenska Filminstitutet).
[2] Avec notamment un plan fixe sur une petite fille rousse au sourire assez énigmatique qui serait, d'après ce que j'ai pu lire, la fille de Bergman elle-même.