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Carte postale suédoise: [Stockholm et 32 mois] Susceptibilités.

15 mars 2007

[Stockholm et 32 mois] Susceptibilités.

Un ferry et un drakkar.
Deux bateaux, deux époques (comment ça le drakkar avance au moteur ?).

Lorsque j'avais choisi le nom de ce carnet, en juin 2004, je me questionnais évidemment sur le contenu que j'allais y mettre. Les blogs d'expatriés [1] n'étaient pas encore particulièrement répandus, mais je me disais que des personnes bien renseignées parleraient de la Suède bien mieux que moi, et que par conséquent il était inutile que je fasse un guide de voyage ou une description des traditions du pays. D'ailleurs, ce n'était pas mon départ en Suède qui m'avait poussé à ouvrir ce carnet (mais cette personne à laquelle je rends par ailleurs hommage !). Hasard des dates, donc, on va dire. Mais je cherchais un nom, et mon départ approchait à grands pas. L'idée a alors germé de tenir ce carnet en Suède comme j'aurais pu le faire en France. Ce n'est pas parce que je partais en Suède que je devais me sentir obligé de ne parler que de la Suède dans mes billets, après tout. La vie continue de la même manière, mes goûts et mes aspirations ne changent pas radicalement. Tenir ce carnet comme si de rien n'était, donc. En commentant l'actualité, qu'elle soit suédoise ou française, en parlant de mes impressions, de mes envies, de mes coups de gueule, de ma vie culturelle et sociale. Bref, en écrivant comme si je n'avais pratiquement pas quitté le pays. Car somme toute, une vie suédoise peut paraître extraordinaire pour un Français, tout comme une vie française peut paraître extraordinaire pour un Suédois. Un Français ne s'enthousiasme pas systématiquement pour le saucisson qu'il achète, un Suédois ne s'enthousiasme pas systématiquement pour le kanelbulle qu'il mange. On est juste né quelque part alors on vit sa vie. Et l'on serait né ailleurs que cela serait la même chose. La France et la Suède, deux pays similaires et différents à la fois, bénéficiant tous les deux d'environnements très privilégiés et dans lesquels on vit très bien, la différence se faisant sur des petits détails qui plairont davantage à certaines personnalités, personnalités qui sont d'ailleurs susceptibles de changer au cours du temps. Pas de quoi fuir un pays pour aller chercher l'autre, somme toute.

C'est en partie pour cela que j'avais donc choisi ce titre, "Carte postale suédoise", de manière ironique. Car il devait être tout sauf une carte postale sur la Suède. Tout au plus une mansarde sur Stockholm, au même titre que des personnes ont un carnet sur les expositions à Paris ou sur les sorties underground à New-York. Le reste pouvait avoir trait à des événements d'actualité, des balades, des anecdotes, de petits plaisirs, de grandes histoires. De ces choses qui arrivent, indifféremment du pays dans lequel on habite.

Je crois d'ailleurs que mon ton n'a pas changé entre la France et la Suède. J'ai toujours eu ce penchant rêveur sensoriel qui s'enthousiasme pour de petits événements dégageant une certaine atmosphère (même si cela ne m'avait pas empêché de tirer sur l'ambulance un jour de canicule). Souvent donneur de leçons et redresseurs de torts, tantôt grognard, tantôt mielleux, le tout desservi par une écriture trop solennelle qui laisse à penser que je ne suis qu'un affreux sinistre qu'on lit le soir à ses enfants pour les faire s'endormir. Et il n'y a pas de raison pour que cela ne soit pas la même chose lorsque je reviendrai en France (car oui, pas de chance, je continuerai à écrire, les p'tits loups). Bref, je m'égare.

Au fur et à mesure que le temps s'écoule, ce projet s'évanouit peu à peu, et on s'aperçoit que la diplomatie est chose peu aisée. Car, à vivre à l'étranger, on se rend compte que toute critique que l'on fait est bien souvent interprétée comme une critique envers le pays lui-même. Ce fameux "le pays dans lequel tu habites, tu l'aimes ou tu le quittes". Mais rassurez-vous, si je n'aimais pas la Suède, je l'aurais quittée depuis un bon moment.

Des exemples comme cela, il y en a des milliers, même s'ils peuvent paraître anodins. En voici un bête : je trouve par exemple anormal que certains conducteurs de bus ou de métro de Stockholm téléphonent alors qu'ils conduisent (et ce parfois pendant de longues minutes), alors qu'ils transportent des gens qui ne sont pas attachés, cela donnant parfois lieu à de grosses frayeurs (bus qui empiète sur le trottoir dans un tournant, collisions évitées de justesse avec des automobilistes, vitesse excessive, freinage très brutal lors de l'arrivée à la station...). En trouvant cette attitude anormale et condamnable (je précise que téléphoner en conduisant en Suède est, contrairement à la France, légal), je critique l'attitude inconsidérée de personnes et par là-même SL qui visiblement ne tape pas assez du poing sur la table à ce niveau. Je ne critique personne d'autre. Je ne critique pas la Suède (même s'il y a à mon avis un problème législatif, mais c'est une autre histoire). Il s'avère que je vis à Stockholm et que ma critique s'adresse donc forcément à quelque chose de suédois. Mais je vivrais à Paris et constaterais des comportements de ce genre, je réagirais avec la même véhémence. Alors oui, en mon for intérieur, je peux penser qu'en Suède, c'est une attitude assez paradoxale puisque les gens sont très attachés à la sécurité des personnes d'une manière générale. Mais en soi je m'intéresse uniquement au fait que cela arrive malheureusement trop souvent, et que je regrette qu'une fois, ayant interpellé le conducteur du bus dans lequel j'étais, je n'aie pas été suivi par les gens autour de moi. Est-ce que j'en déduis que les Suédois sont comme ceci ? Pas assez cela ? Non. J'en déduis seulement que j'étais entouré de personnes à qui cela ne pose pas de problème d'être dans un bus dont le chauffeur téléphone en conduisant. Et, dans la même idée, je n'accepte pas qu'on me dise "oui mais en France tu sais, ce n'est pas mieux, blablabla". Je n'ai pas mentionné la France, je n'ai fait aucune comparaison, donc cette répartie est plutôt malvenue. J'exerce seulement un droit à la critique légitime, indépendamment du fait que je sois étranger ou non.

Lorsque j'étais en France, je ne me privais pas pour critiquer certaines choses, alors il n'y a aucune raison pour qu'il y ait une chape de plomb qui m'empêcherait de le faire ici. Est-ce que je travaille pour l'office de tourisme de Stockholm ? En tant qu'étranger, dois-je me taire et trouver que tout est magnifique en Suède ? Question pas si évidente qu'il n'y paraît. On a tôt fait de vous répondre que vous ne connaissez pas le pays, que votre critique n'est pas fondée.

Il y a peu, une amie suédoise partie étudier en France me demandait si, sur son carnet en ligne, cela ne me dérangeait pas qu'elle critique l'attitude de la France envers les anciens combattants coloniaux, après avoir vu le film Indigènes (film fort mauvais bien que traitant par ailleurs d'un sujet très grave). Je lui ai répondu que non, bien au contraire, il est toujours intéressant de lire un oeil "neuf" écrivant sur un sujet touchant son environnement culturel d'origine. En pensant que de mon côté, au gré de l'actualité, j'aurais pu parler de certaines pages sombres de l'histoire de Suède[2], mais que je ne l'ai d'ailleurs pas fait par manque de temps et d'envie. Je lui ai donc dit que je trouvais normal qu'elle ait son mot à dire, tout autant que des blogs français parlent de la légion d'honneur de Papon. Tout cela est évidemment bien normal. Tout le monde peut s'indigner d'un fait, quelle que soit sa nationalité. Et moi qui adore l'actualité, je suis souvent amené à m'indigner, c'est l'idée même de l'actualité. On ne me taxera pas d'anti-français si je critique Chirac, on ne taxera pas d'anti-suédois un Suédois qui critique Reinfeldt (ce que je m'apprête à faire bientôt, 'ttention les yeux). Personne ne doit rentrer dans un moule, je connais des milliers de Français qui comme moi n'aiment pas le fromage, je connais des milliers de Suédois qui n'aiment pas le Melodifestivalen.

Une maison en bois et des gratte-ciels.
Deux architectures, deux époques.

D'une manière générale, à maintenant trois semaines de mon départ, j'estime avoir plutôt réussi mon expatriation. Si tant est qu'il y ait quelque chose à réussir. Je n'ai tiré aucune gloriole à vivre à l'étranger, je ne vaux pas mieux ou moins bien que quelqu'un resté en France. L'expatriation ne fait qu'agrandir les yeux de la personne qui les a déjà ouverts. Je pourrais rester en Suède, d'ailleurs. J'y suis heureux, je me suis créé une vie. Je n'ai rien à fuir, comme je n'ai rien fui en partant il y a presque trois ans. Je ne quitte pas la Suède, je vais en France.

J'avais à l'époque particulièrement apprécié ce billet de Patrick. Clairvoyant car posé. Dénonçant ce mal très français que de reporter ses problèmes sur le pays dans lequel on vit, sans se remettre en cause.

Et c'est finalement lié à l'exercice de la critique, tout cela. S'approprier la critique de manière à ce qu'on l'exerce de la même manière, indépendamment de son environnement.

Autoroute traversant la vieille ville.
Une vieille ville, une autoroute, deux époques.

Cette frénésie qui pousse à vouloir tout comparer, à vouloir se persuader et persuader les autres que l'on habite dans le meilleur endroit possible, à gommer en permanence le négatif pour ne se concentrer que sur le positif. A comparer ce qui n'est pas comparable, à sortir X tableaux pour prouver par a + b que Stockholm est mieux que Paris, que Lyon est mieux que Göteborg, que le prästost est meilleur que le camembert ou que le croissant est meilleur que le kanelbulle. Je n'aime pas les comparaisons chiffrées. Tout au plus j'accepte les comparaisons de sociétés, dans la mesure où elles ne peuvent aboutir à un résultat positif ou négatif.

Pas une semaine sans qu'un Suédois ne me dise "mais tu es fou d'avoir quitté la France, la Suède est beaucoup moins bien, en France il y a ceci, en France il y a cela...". Pas une semaine sans qu'un Français ne me dise "mais pourquoi reviens-tu en France, la Suède c'est beaucoup mieux...".

On habite là où la vie nous pousse, là où le vent nous porte. On vit des histoires. Tristes, joyeuses. On salue tous les jours la chance que l'on a eue de naître dans des pays qui ne connaissent pas la famine, la misère ou la guerre. Le reste ? Bullshit.

Alors oui au droit à donner son avis sur le pays dans lequel on vit, car cela montre l'intérêt qu'on lui porte. Et forcément, plus l'on connaît le pays, et plus l'avis s'affine et se fait critique.

Et comme dirait un Eugène Saccomano à qui l'on reproche de commenter plus souvent la crise permanente ayant lieu à l'OM ou au PSG que les succès de l'OL : "c'est comme ça, on ne parle jamais des trains qui arrivent à l'heure". Mais faut pas croire, hein. J'ai un bon fond.


[1] On dit "expatrié" quand on vient d'un pays riche, on dit "immigré" quand on vient d'un pays pauvre. Pouf pouf.

[2] Les faits "peu reluisants" qui ont été les plus médiatisés depuis que je suis en Suède ont entre autres été :
- la stérilisation forcée de personnes qui "mettaient en danger la survie de la lignée nordique" (principalement les handicapés mentaux), révélée en 1997 mais dont on parle encore parfois aujourd'hui (elle a continué jusqu'en 1976). Quelques articles dans les archives de L'Humanité, de L'Express.
- le zèle de prêtres appartenant à l'Eglise suédoise qui, entre 1937 et 1955, appliquaient les lois nazies sur le mariage lorsqu'un des conjoints était allemand, à savoir qu'une personne suédoise se mariant à une personne allemande devait certifier qu'aucun grand-parent de la personne allemande n'était juif. Article de DN si vous lisez le suédois.

L'attitude de la Suède durant la deuxième guerre mondiale est d'ailleurs plus généralement souvent une question taboue, donnant d'ailleurs lieu à des discussions animées lorsqu'elle est abordée, entre personnes qui donnent une image très noire de la Suède, et personnes qui soutiennent que tous les Suédois étaient à l'image de Raoul Wallenberg. La réponse se situant évidemment, comme en France lorsque l'on aborde la question de la résistance et de la collaboration, entre les deux. Sachant que les deux pays n'ont évidemment pas vécu la guerre de la même manière et qu'il est inapproprié de les comparer à ce niveau.