Les travers de la dissonance cognitive.
Kungsträdgården, Stockholm. Détail d'un banc public.
La réflexion menée ici me permet de me rendre compte que, sur un certain nombre de points concernant la Suède, je fais face à une jolie dissonance cognitive.
Je me permets de redonner la définition de ce terme encore méconnu (traduit de l'anglais d'un livre que je n'aurais vraiment pas dû acheter, Essentials of Organizational Behavior, de Stephen P. Robbins):
La dissonance cognitive a lieu lorsque des incompatibilités apparaissent entre au moins deux comportements chez une personne. La théorie de la dissonance cognitive suggère que les gens cherchent toujours à minimiser cette dissonance et l'inconfort qu'elle procure.
[...]
Imaginons qu'un directeur d'usine, M. Smith a la conviction qu'aucune entreprise ne devrait polluer l'air ou l'eau. Malheureusement, à cause des nécessités de son travail, M. Smith doit prendre des décisions qui mettent en opposition la rentabilité de son entreprise et ses convictions environnementales. Il sait que le rejet des eaux usées de son usine dans la rivière toute proche (nous imaginerons dans ce cas que la pratique est légale) constitue le meilleur choix économique pour son entreprise. Que va-t-il faire ? M. Smith fait clairement face à un gros problème de dissonance cognitive. À cause de l'importance des éléments qui constituent cet exemple, M. Smith ne peut raisonnablement pas ignorer cette inconsistance. Aux côtés de la démission, plusieurs choix s'offrent à M. Smith. Il peut réduire cette dissonance soit en changeant son attitude (arrêter de polluer la rivière), soit en concluant qu'une attitude dissonante n'est pas si problématique ("Il faut bien vivre et, en tant que décisionnaire, je dois souvent placer le bien de mon entreprise devant celui de l'environnement ou de la société"). Une troisième option serait de changer sa conviction ("Il n'y a rien de mal à polluer la rivière"). Un autre choix pourrait également être de chercher d'autres éléments consonants pour l'emporter sur les éléments dissonants ("Les bénéfices que la société tire de la fabrication de nos produits compensent largement le coût des conséquences de la pollution").
Vous pensez bien que je ne reviendrai pas sur la pensée nauséabonde sous-jacente véhiculée par cet exemple. Pour certains, la pollution semble se résumer à un unique problème économique. Passons.
Cela dit, il illustre bien la notion même de dissonance cognitive. Inconsistance entre des choses que l'on sait, des faits que l'on voit et des actions que l'on produit.
Je me souviens également d'un autre exemple très parlant (malheureusement je ne sais plus très bien où j'ai pu le lire): deux groupes d'étudiants devaient éduquer des rats (leur apprendre des tours, il me semble). Dans les deux cas, les rats étaient parfaitement identiques, mais on avait dit au premier groupe que ses rats étaient particulièrement doués et au deuxième que ses rats avaient des problèmes comportementaux. Et sans surprises, le premier groupe avait eu de bien meilleurs résultats que le deuxième, chacun des groupes ayant inconsciemment tendu à minimiser la dissonance cognitive qui existait entre "le potentiel" des rats et leurs résultats effectifs. Des rats soi-disant doués ne pouvaient se permettre de ne pas réussir à faire certains tours tandis qu'une certaine indulgence était de mise pour les rats soi-disant "inaptes". Un schéma qui, selon certains, se reproduit inconsciemment au niveau de l'éducation, entre les écoliers issus des quartiers "favorisés" et ceux issus des quartiers populaires. Bourdieu en parle un peu dans Les héritiers. Mais c'est un sujet un brûlant et je vois que je m'égare.
Donc, pour en revenir à ma pomme, je crois qu'il y a une certaine inconsistance entre ma perception d'un pays qui n'est pas tout blanc et ce que j'en décris ici, pour cause de conviction personnelle (ne pas taper sur un pays qui m'accueillit). Mais il paraît que tout un chacun tend à réduire cet écart, alors...