Danse macabre.
En germaniste assidu, j'avais découvert Arthur Schnitzler en cours d'Allemand, à travers sa nouvelle Fräulein Else étudiée pour le bac (dix ans cette année, à propos). Très cynique sur la nature humaine, il décrivait l'univers viennois dans ses castes, ses milieux bourgeois empreints de vulgarité et d'une misère sociale et sexuelle qui contrebalançait des extérieurs pleins de frasques, à une époque - le début du siècle dernier - à laquelle la capitale autrichienne rayonnait sur le plan intellectuel.
La semaine dernière, au petit Théâtre de Poche Montparnasse [*], je suis allé voir La Ronde (Reigen, auf Deutsch), pièce de Schnitzler traduite et mise en scène par Marion Bierry, fille du directeur des lieux et habituée des premières dans ce théâtre minuscule.
Construite en dix scènes s'articulant autour de dix personnages - cinq hommes et cinq femmes, interprétés par sept acteurs -, la pièce fait place à l'ensemble de la société viennoise, pendant la grande guerre. Une prostituée, une femme du monde, un soldat, une actrice, un comte, un poète... A la manière d'un jeu de kyrielles, ils se rencontrent en duo tour à tour, charnellement (la prostituée avec le soldat, le soldat avec la femme de chambre, la femme de chambre avec le jeune premier... jusqu'à boucler la boucle avec le comte et la prostituée du début). Actrices et acteurs, souvent très dénudés, parlent de mort, d'envie, de regrets, de maladie (en l'occurrence la syphilis), d'hédonisme individuel, de suffisance. Jamais d'amour, jamais de trahison, jamais de duperies.
La pièce, en plus du texte original en fin de compte assez grave, est parsemée de chansonnettes très drôlement mises en scène (en allemand), chantées par les acteurs qui s'illustrent très joliment (on notera par exemple Heimat interprétée par le Comte - Vincent Heden). Des draps de lit qui volent, des acrobaties jambes en l'air, des scènes intimidantes de nudité tournées en dérision. Une certaine idée du théâtre polisson.
Mention spéciale à Eric Verdin qui, travesti dans un costume digne de l'affiche de Mucha représentant Sarah Bernhardt jouant Gismonda, incarne une actrice névrosée aux envolées lyriques tordantes. Et à Aline Salajan qui, au-delà de son jeu frais et haut en couleurs, est terriblement jolie.
Ah, et aussi, mention spéciale au vendeur du kiosque des théâtres de la Madeleine qui, lorsque je lui ai dit à travers l'hygiaphone "Deux places pour La Ronde, s'il vous plaît", m'a répondu "Pour Michèle Bernier ?". D'accord, il m'a avoué que ça faisait trois mois qu'il la sortait.
[*] Qui est un théâtre que j'adore, au passage, de par sa configuration et son choix de pièces éclectique toujours excellent.