Les mains sorties des gants pour appuyer sur le déclencheur d'un appareil photo que le froid du dimanche matin a rendu capricieux. Une atmosphère toute grise, désolée, un brin hostile, une atmosphère entière que j'adore.
La dénonciation de l'association de certaines valeurs à la musique que l'on appelle "classique" est une de mes marottes. Tant et si bien que cela tourne parfois à l'obsession, cette obsession qui refuse que lui soit affublés des qualificatifs de rigueur, de solennité, de bourgeoisie ou de tout autre terme qui tenterait à insinuer qu'elle a été écrite par d'affreux sinistres élitistes. Car mine de rien, des petits rigolos, des noceurs et des joyeux drilles, il y en a eu des ribambelles.
J'avais déjà rapidement parlé de Francis Poulenc (oui c'est à la mode actuellement), aujourd'hui je voudrais parler de Satie. Oui, celui-là même qui a souvent dû voir son nom orthographié "Éric Satie". Sik.
Détail de la maison natale d'Érik Satie à Honfleur en décembre dernier, par une belle bruine normande comme on n'en voit plus des masses, boudiou. Et un froid de canard, je ne vous dis que ça.
Le gymnopédiste le plus célèbre de son temps est donc né dans ce joli petit port qu'est Honfleur. Ce fils d'une mère écossaise et d'un courtier normand est visiblement fort peu attiré par la pêche à la crevette et l'estuaire de la Seine, puisqu'il apprend très jeune l'orgue, puis part à Paris où il se mettra au piano puis se fera renvoyer deux fois du conservatoire pour cause de manque de talent. A partir de là, on peut déjà dire que la vie de Satie est marquée par le sceau de l'ironie, puisque c'est au piano que Satie composera la majorité de ses oeuvres (sachant qu'il n'est pas forcément nécessaire d'être un bon musicien pour être un bon compositeur).
Car Satie, c'est un peu ça. L'ironie poussée à l'extrême. Une personne qui s'est tellement moquée d'elle-même, tellement enfermée dans un rôle, qu'elle a dû le tenir toute sa vie. Et en mourir.
C'est un homme de sarcasme qui, du fait d'une humilité exacerbée, n'ose pas dire ce qu'il pense, et préfère vivre dans la dèche absolue plutôt que demander de l'aide de ses très nombreux (et parfois très riches) amis ou d'accepter celle qu'on lui propose, la musique ne le faisant pas vivre. C'est un homme qui pratique la correspondance à sens unique, et pas dans le sens "habituel" de la chose, à savoir qu'il envoie énormément de lettres à ses amis, mais n'ouvre même pas leur réponses (à sa mort on retrouvera des centaines de lettres non ouvertes dans son appartement), les imaginant parfois pour pouvoir continuer la correspondance.
On trouve souvent une volonté de séduction chez Satie. Une volonté de ne pas ennuyer son public en composant des pièces très courtes. Une volonté de faire rire l'interprète de sa musique en écrivant sur la partition des annotations cocasses, de faire rire son public avec des titres d'oeuvres tout aussi cocasses (Valses distinguées du précieux dégoûté, Croquis et agaceries d’un gros bonhomme en bois, Véritables Préludes flasques pour un chien...), eux-mêmes complétés par des précisions ironiques, la plus célèbre étant sans doute celle figurant sous d’Edriophthalma, extrait des Embryons desséchés : "Citation de la célèbre mazurka de Schubert". Schubert n'a jamais composé de mazurka, et le morceau ne prend d'intérêt que lorsque l'on se rend compte qu'il s'agit d'une parodie de la Marche funèbre de Chopin, très connu pour ses mazurkas.
Erik Satie - D’Edriophthalma, 2ème pièce des Embryons desséchés.
Frédéric Chopin - Marche funèbre, extrait de la Sonate pour piano en si bémol mineur n.2 opus 35.
L'homme qui portait tout le temps le même costume gris, anglican converti au catholicisme, crée sa propre église, l’"Église métropolitaine d’art de Jésus-Conducteur". Il en est le guide spirituel et le seul fidèle.
Alors qu'il agonisait à l'hôpital, il répond à son amie et protectrice Sybil Harris qui était venue lui apporter des fleurs : "Mais c'est trop tôt, chère madame, beaucoup trop tôt".
Il faut croire que l'air de Honfleur pousse à l'absurde, puisque la charmante petite ville du Calvados était également le lieu de naissance d'Alphonse Allais. Allez savoir.
Il n'y a guère qu'en amour que Satie essayait d'être sérieux. Cela se traduisait par l'écriture de quelques pièces vocales (parfois de cabaret) dédiées aux personnes qu'il aimait, par exemple le très connu Je te veux, valse sentimentale dont voici un extrait chanté par Jessye Norman (beaucoup de coffre mais une diction abominable, faites-moi signe si vous comprenez un mot de la chanson).
Satie est mort d'une cirrhose du foie savamment cultivée. On oserait presque dire "évidemment". Un homme étouffé par sa propre ironie, un homme qui meurt dans la misère, feignant le bonheur auprès de ses amis, rongé par son ego dont la vedette a été volée par Debussy.
Il s'appelait Érik Satie, "comme tout le monde", se plaisait-il à dire.
Station de métro T-Centralen. Affiche pour Ledarna ("Les dirigeants", organisation proposant conseils en développement de carrière, conseils salariaux, échanges de bons procédés...):
De gauche à droite : "Vous désirez progresser rapidement en tant que patron. Choisissez les bonnes marches". "Nous savons ce que les patrons valent. Et combien ils doivent gagner." "Les patrons font la différence. Nous faisons la différence pour les patrons."
Östermalm, derrière le stade. Affiches pour l'organisation syndicale Seko (syndicat pour les métiers de service et de communication faisant partie de la puissante et majoritaire organisation syndicale LO, proche des sociaux-démocrates aujourd'hui dans l'opposition parlementaire):
"Les soldes sont annulées !
Forte croissance. Bonus pour les directeurs. Et salaires plus bas pour ceux qui gagnent le moins.
On ne marche pas. C'est maintenant que commencent les négociations salariales pour des millions de Suédois. Les employeurs veulent solder nos membres. Nous ne l'acceptons pas. Nous exigeons des salaires plus élevés pour tous."
Sur les deux affiches, dont les petits caractères sur le côté indiquent qu'elles sont également faites par Seko :
Soldes ! Embauchez-en 3, payez pour 2.
Si nous gagnons les négociations salariales de cette année, alors commencent les soldes pour tout le personnel ! * Embauchez trois téléphonistes, payez pour deux. Nous vous offrons le moins cher. Venez et faites de bonnes affaires ! Cette offre est valable pour toute la période de convention.
* Ne concerne pas les directeurs.
En bas à droite de chaque affiche, logo marqué "Arbetsgivarna" ("Les employeurs", organisation bien évidemment fictive).
Pour la première fois en Suède a lieu en ce moment une exposition rassemblant quelques-unes des plus belles oeuvres du peintre tchèque Alfons Mucha. Mucha, nom synonyme d'Art nouveau (le suédois lui préférera souvent le terme germanophone Jugendstil), tant ses oeuvres, en particulier ses affiches, ont le style si caractéristique de ce mouvement artistique qui me tient particulièrement à coeur.
L'entrée du Dansmuseet sur la Gustav Adolfs torg. Vous aurez remarqué que la neige n'en finit pas de fondre.
Pour accompagner ce billet, j'aurais pu choisir Debussy ou Fauré (non non, pas Smetana), finalement c'est vers Poulenc que je me tourne, avec le dernier mouvement (allegro con fuoco) de sa sonate pour clarinette et piano. Une oeuvre anachronique par rapport à Mucha puisque la sonate date de 1962 alors que Mucha a connu son âge d'or entre 1890 et 1910. Mais ses sonorités sont en fait pour Poulenc l'allégorie d'un retour vers ses années débridées de jeunesse, alors on fera donc comme si.
Pour quelques informations sur la vie de Mucha, je vous renvoie à sa biographie sur Wikipédia. Celle-ci oublie de mentionner (sachant que c'est tout de même implicite au vu de ses oeuvres) que Mucha faisait partie, comme la quasi-totalité de ses compatriotes de l'époque, de la mouvance nationaliste tchécoslovaque en lutte contre l'emprise culturelle et étatique de l'Empire austro-hongrois et des Allemands. Cela se traduira par la fameuse Épopée des Slaves, une série de peintures (et non pas d'affiches) consacrées à la nation tchèque qui s'inspirent en grande partie de la Commune. S'y adjoignent également quelques affiches à forte connotation politique, comme par exemple cette magnifique affiche pour la Loterie de l'Union Nationale. Celle-ci est un appel aux dons en faveur du financement d'écoles tchèques privées, puisqu'à l'époque les langues slaves n'étaient pas autorisées dans les écoles publiques, où seul l'allemand avait cours (vous savez, la fameuse "acculturation linguistique qui aliène les foules"). Sans texte, donc. Avec une allégorie de la nation tchèque et une petite fille aux cheveux Art nouveau et au regard réprobateur.
Affiche de Gismonda (1894), pièce de Victorien Sardou présentée pour la première fois au Théâtre de la Renaissance, avec Sarah Bernhardt dans le rôle-titre. C'est l'affiche qui a fait de Mucha, en l'espace d'une journée, une idole de Paris. La petite histoire murmure qu'à la nuit tombée, les amateurs d'art sortaient armés d'un cutter pour tenter de récupérer la précieuse affiche...
A la suite de son premier succès, Mucha devient la coqueluche de la grande Sarah, avec laquelle il signera un contrat de six ans (j'ai un petit faible pour Hamlet). Sa célébrité lui permettra de mettre du beurre dans les épinards en signant quelques affiches pour des grandes marques, notamment Lefèvre-Utile et Moët & Chandon.
Deux affiches pour Moët & Chandon, 1899 ("comment ??? On fait du crémant chez Moët & Chandon ???"). Celle de droite a quelques sonorités maçonniques qui seront d'ailleurs plus présentes dans la suite de l'oeuvre de Mucha.
Mon coup de coeur chez Mucha est à chercher du côté des panneaux décoratifs. Tellement caractéristiques que le terme "panneaux" est repris en suédois (pannåer), en anglais et en allemand (panneaux).
Le panneau "Repos de la nuit" extrait de la lithographie "Les heures du jour" (1899) représentant quatre femmes à différents moments du jour. Ne le répétez pas, j'en suis amoureux.
De la pure décoration, humaine et végétale, libre mais étudiée.
Après avoir notamment vécu avec Gauguin et fréquenté les cercles surréalistes (quelques photos à forte connotation surréaliste), Mucha retournera à Prague (en passant avant par les États-Unis) où il s'impliquera énormément, via l'art, dans l'indépendance politique de son pays. Je dois avouer que l'Épopée des Slaves ne me parle pas particulièrement et que son fort penchant nationaliste (très compréhensible cependant au vu de la condition tchèque) m'empêche sans doute de l'apprécier à sa juste valeur.
Mucha mourra suite à une rencontre malheureuse avec la Gestapo en 1939, son art ayant sans doute été jugé comme dégénéré et évidemment trop contestataire. Son appartenance à la franc-maçonnerie n'aura pas particulièrement aidé non plus.
L'art dans la publicité, une époque décidément bien révolue.
Je me souviens d'un ami anglais qui me disait souvent "we Britons drive on the right side of the road, the left-hand side", ce qui me faisait rire à chaque fois.
Bref, tout cela pour dire que le dernier article du toujours très éclectique Strange Maps s'intéresse au sens de circulation. Avec un petit lien vers le Dagen H (fr, sv), 3 septembre 1967, jour où la Suède passa de la gauche à la droite sans changer de premier ministre. Et une photo de Leif Engberg qui a fait le tour du monde.
Une image volée lors de ces derniers moments d'insouciance. Fin des examens pour certains, quasi-fin de travail de fin d'études pour d'autres, joie de vivre pour tout le monde. Barbecue sur la plage et baignade dans l'eau fraîche, un de ces soirs que l'on voudrait éternels. Si je devais garder une photo de mes presque trois ans en Suède, je crois que ça serait celle-là. Tellement cliché, tellement été, tellement suédoise...
Aujourd'hui dimanche, jour des 'tits z'enfants, je suis retourné à l'anneau de glace d'Östermalm pour sortir mes patins de la poussière dans laquelle ils traînaient depuis environ un an. Pas de sortie sur les lacs ce coup-là, mais rien ne dit que la semaine prochaine je ne vous ferai pas un remake nordique du lac de Tibériade, à condition que le thermomètre soit d'accord pour l'accomplissement du miracle, parce que moi je ne fais pas dans la prise de risque (si ? Bon mais un tout petit peu, pas trop). Et puis une mort par transformation en glaçon, à trois mois de mon départ, je n'y tiens pas particulièrement.
Voilà donc un anneau d'athlétisme de 400 mètres transformé en une gigantesque piste de short-track (vous aurez relevé le contresens de ma phrase), le patineur australien en moins. Comme sur toutes les patinoires de la planète, on y tourne dans le sens trigonométrique, alors que mon problème de latéralisation (vous commencez à connaître la rengaine...) me pousserait à tourner dans le sens horaire. Me voilà donc à suivre les gens comme un mouton. Bref, tout cela pour dire que le titre "anneau mouton" ou toute autre tentative de mettre en exergue le diktat de l'anneau ne débouchait sur aucun jeu de mot foireux.
Un bourgeon dont la maturité est à l'aune de la douceur de cet hiver. Les températures froides de ces derniers jours auront tôt fait d'avoir raison de lui. Et de mon envie de sortir les patins aujourd'hui...
C'était dans le tram, à Nantes, un soir de septembre 2003. Ligne 1, direction François Mitterrand. Avec Vincent nous allions à l'UGC d'Atlantis voir un film qui ne m'aura apparemment pas marqué. La nuit était tombée depuis un moment et la rame presque vide. Normal, pour un jour de semaine.
La rentrée en deuxième année avait eu lieu une ou deux semaines plus tôt. On sentait déjà pointer en nous les interrogations sur la suite à donner à nos études. Pour certains, ces interrogations trouveraient sans doute réponse dans le retardement de l'entrée dans la vie professionnelle. Comme une envie que tout cela ne s'arrête pas, alors il fallait trouver quelque chose qui fasse un peu vibrer, qui permette encore à la flamme de la jeunesse de briller quelques instants, comme la touche finale d'une enfance trop courte. On entamait pourtant la quatrième année d'études après le bac. Mais non, on n'était pas lassés, même si l'on sentait que cela ne pourrait durer éternellement. Le rite de passage vers l'âge adulte avait commencé tardivement, voire n'avait pas encore commencé. La prépa n'avait sans doute pas aidé à sortir de notre logique de dépendance et d'attentisme, alors on se cherchait un peu, il manquait des pierres à nos personnalités, celle-là même qui nous donne des aspirations. Il nous fallait un déclencheur fort pour rentrer de plain-pied dans cette conscience de soi. Ou alors il faudrait qu'il soit doux et rende ce passage, ce changement de perspective, moins brusque.
A peine deux ans avant de se voir décerné le diplôme d'ingénieur, le temps filait. Et je ne voulais pas m'arrêter là, je voulais me lancer un défi. "Les études, c'est qu'une fois dans la vie", me disait-on. Je pensais déjà à la possibilité de partir, même si, n'ayant pas eu la chance de voyager avant, cela ressemblait à un saut dans le vide. Alors, quitte à ce qu'il soit marqué, autant aller en territoire totalement inconnu. Une savante combinaison de volonté d'apprendre une nouvelle langue, d'étudier dans un domaine nouveau, pourquoi pas d'avoir son premier "vrai" travail à l'étranger... Et surtout, de découvrir, de redécouvrir, de me redécouvrir. De cotoyer des gens de qui j'ai tout à apprendre, ces gens qui m'aideront à comprendre. Cette envie d'aller à un endroit où personne ne vous attend, personne n'a besoin de vous, personne ne se réjouit de votre venue, et, bon gré mal gré, d'y trouver sa place.
Deuxième et avant-dernière année, cette année où il fallait décider quoi faire l'année suivante, rester, partir, bifurquer, choisir. Dans le tram un brin cahoteux, nous parlions de tout cela. C'est environ quatre arrêts avant d'arriver au cinéma que je lui ai dit que, peut-être, j'allais partir à Stockholm. La première fois que je parlais ouvertement de ce projet, alors que j'y pensais et me renseignais depuis un bon moment. En parler à un ami de promotion, juste pour voir, avant de laisser mûrir la chose et d'en parler à sa famille puis aux enseignants.
Plus que trois mois à Stockholm, au pays des trois couronnes. Début d'une série de billets sur ce long départ, série qui sera entrecoupée de notes habituelles au gré des idées. Trois mois de joie à l'idée de changer d'horizon, trois mois forcément peuplés d'une certaine nostalgie, trois mois de course contre la montre, trois mois avant de pouvoir dire, la gorge serrée, comme après une longue absence, "je suis de retour".
Trois hivers, mais seulement deux étés. En sista sommar, tillsammans...
La ville aux 100 clochers demeure toujours ancrée dans mon coeur, que ce soit à cause
de ses ruelles moyenâgeuses ou de son histoire meurtrie. Une belle cité qui mériterait qu'on
lui prête un peu plus d'attention...
Malgré un passage relativement furtif dans la Cité des Ducs (à peine 2 ans), je
garde un souvenir vif de cette ville dynamique, ouverte sur le monde et terriblement
attachante... Une future très grande métropole. Une ville où j'aurai sans doute tourné parmi les
plus belles pages de ma vie...