En quittant Saint-Pétersbourg, c'est un grand mal de coeur qui s'empare de moi. Un profond dégoût qui me fait dire que le monde est d'une cruauté sans nom.
Pendant deux jours j'ai été immergé dans un univers de culture. Je suis entré dans des musées magnifiques. Ces musées que les Russes visitent en masses. Je suis passé le long du théâtre Mariinsky. Ce théâtre toujours plein. Ces ballets qui sont la fierté de toute une ville. Des gens passionnés de culture, oui. Mais des gens qui n'ont rien. Ou si peu. La culture. La vitrine d'un pays qui a de la peine à maintenir les murs en place.
Ces gens qui n'ont rien. Mais qui font des sacrifices sur le budget pour aller au musée. Car la culture n'est pas un bien de consommation. Elle fait partie d'eux-mêmes. Et elle doit donc être défendue.
Arriver dans un pays par la route, c'est une perspective réaliste. Quand j'entends ces gens qui me disent que la Russie va bien, je me gratte la tête. La route entre l'aéroport et le centre, en taxi, elle est plutôt proprette. Un vrai bijou fait pour les touristes et les hommes d'affaires. Celle qui vient de la frontière avec la Finlande et qui passe par Vyborg et les banlieues de Pétersbourg l'est beaucoup moins. On peine à cacher ces immeubles au bord de l'écroulement. Et quand on entend que Saint-Pétersbourg est une ville riche, on se dit que l'on fait bien d'être pessimiste.
Les Russes et leur histoire sont marqués par la souffrance et la privation. La souffrance, oui. Une guide qui, au détour d'une rue, vous dit "oh regardez là-bas, un attroupement de personnes avec des pancartes portant des revendications, il y a quinze ans vous n'auriez jamais vu cela !". Je peux vous dire qu'entendre ce genre de phrase, cela fait quelque chose. Et la privation, aussi. Lorsque le quotidien n'est pas rose, on se débrouille. Même à 70 ans. On essaie de mettre du beurre dans les épinards en surveillant une salle de musée. Et on voit tout autour cette mafia qui brasse de l'argent autant comme autant tandis que le peuple a beaucoup de mal à joindre les deux bouts. On voit ces Audi et ces BMW monstrueuses garée à côté d'épaves. Et on constate que la classe moyenne est pratiquement inexistante en Russie.
Il y a des gens qui vous disent qu'ils regrettent la période soviétique. Car "à cette époque, on respectait notre pays, on l'enviait presque". Il y en a d'autres qui vous disent que le tournant libéral n'a profité qu'à une infime minorité. Enfin il y en a qui vous disent que la situation va s'arranger, qu'elle était bien pire il y a cinq ans.
Alors bon an mal an, les gens s'y font, à cette pauvreté rampante. Mais voir des chanteurs admirables venir vers vous avec des yeux suppliants pour vous vendre leurs disques à des prix dérisoires, je peux vous dire que cela fait quelque chose. Voir ces gens qui sont capables de vous citer les noms de tous les architectes des bâtiments de la ville habillés dans des vêtements passablement usés, cela fait un pincement au coeur et vous fait dire qu'il manque quelque chose à la justice de ce monde. Car les Russes sont attachants. Ils ont un coeur, des idéaux et des histoires à raconter. Ils sont broyés par le système. Mais ils résistent, tant bien que mal.
En rentrant chez moi, tandis que je rangeais mes bagages, j'ai allumé la télévision et j'ai zappé rapidement. Je suis tombé sur MTV et un clip de 50cent en train de conduire une Saleen. En repensant aux Lada garées devant l'Ermitage, j'ai éteint la télé.